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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 13:38

Il y avait urgence et nécessité à la parution de cet ouvrage magnifique et bienvenu, édité récemment chez JC Lattès (octobre 2012) : un livre à découvrir, si l’on veut mesurer l’exceptionnel patrimoine écrit de l’histoire africaine subsaharienne.

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L’avertissement de l' éditeur ainsi que la préface de J.M.G.Le Clézio plongent nécessairement l’ouvrage au cœur de l’actualité malienne.

Rappel rapide : le 1er avril dernier, Tombouctou tombait  aux mains du MNLA, le 2 avril, aux mains d’AQMI. Ville mythique et symbolique du Mali, Tombouctou, avec les autres villes du nord Mali, subissait  les violences, les terreurs et les désordres de la guerre, avant un pseudo retour à l’ordre, au prix d’une charia implacable, appliquant sévices et châtiments à qui ne se pliait pas aux règles de vie imposées par les fondamentalistes. Outre la destruction de plusieurs mausolées ou des dégradations de mosquées historiques, la menace pesait aussi sur les célèbres manuscrits : le risque de les voir disparaître au profit de trafics juteux a soulevé l’inquiétude pour ce patrimoine culturel immense. C’est ce qu’exprimait au début de l’été dernier la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova. Depuis hier matin, lundi 28 janvier, Tombouctou a été «  reprise » par les forces maliennes et françaises. Sans résistance,car la ville s'était déjà vidée de ses djihadistes combattants. Il faut maintenant que puissent s’y réinstaller pouvoir civil et administration. Espérons que les Tombouctiens auront su, une fois encore, cacher et préserver leurs trésors.

 

Ville sainte, foyer d’un rayonnement intellectuel sans pareil à la période contemporaine de notre Renaissance, lieu de rencontre et d’échanges des plus grandes intelligentsia arabes jusqu’au XVIIIe siècle,Tombouctou  a concentré pendant des décennies tout ce qu’il y avait de plus savant dans le monde arabo-musulman : tous les savoirs, juridique, foncier, mathématique, politique, artistique, climatologique, religieux, pharmacologique, médicinal, y étaient enseignés, copiés, diffusés. Les universités tombouctiennes pouvaient même avoir été fréquentées par des Européens. Ville stratégique des échanges commerciaux entre le Nord et le Sud, ville des caravanes et des commerçants, sise à proximité du fleuve Niger, elle ne pouvait qu’être une tentation pour conquérants. On pourra suivre en filigrane dans le livre de Jean Michel Dijan, cette histoire de Tombouctou, ville « mystérieuse » et comme disparue de l’Histoire après la conquête marocaine, puis redécouverte au début du XIXème siècle, puis colonisée par la France…et qui a fait silence sur son propre passé.

 

 

L’ouvrage associe des informations passionnantes à des photographies superbes, qui donnent à  voir la richesse de ce patrimoine encore loin d’avoir livré tous ses secrets. Le début d’une histoire de l'Afrique de l'Ouest à retrouver et à réécrire avec un autre regard.

manuscritOn fait quelques retours en arrière sur la connaissance de ces manuscrits, et sur ce que leurs premières traductions auraient pu nous apporter depuis longtemps : l’une des dernières révélations du livre est particulièrement parlante quand  Jean-Michel DIJAN  cite Octave HOUDAS, professeur d’arabe à l’Ecole des Langues orientales de Paris au début du XXe siècle.  C’est lui qui traduisit pour la première fois en français le Tarikh es Soudan, d’Abderrhamane Es-Sa’di,  texte d'un érudit  du XVIIe siècle, dont le manuscrit qui a été découvert au XIX siècle décrit toute l’histoire du Soudan.

Il y a juste 100 ans, voici ce qu’écrivait en 1913, Octave HOUDAS en préface de sa traduction  : « [Cette histoire du Soudan] montre que ces populations auxquelles on est tenté de refuser toute initiative en  matière de progrès, ont eu une civilisation propre qui ne leur avait pas été imposée par un peuple d’une autre race et que la disparition de cet Etat relativement prospère est due en grande partie, sinon uniquement, à des conquérants de race blanche. Enfin elle relie à l’histoire générale de l’humanité tout un groupe de nations qui jusqu’ici en avaient été à peu près complètement écartées… » ( sur l'ouvrage traduit par Octave HOUDAS, voir la page au lien suivant  link)

Comme le note Jean Michel DIJAN,  à l'époque « cette mise en lumière ne suscita guère de réaction en France… ». On était à l'apogée des conquêtes coloniales...

70 ans plus tard, en 1973, l’historien malien Mahmoud Zouber ouvre à Tombouctou ce qui deviendra le plus grand centre de conservation des manuscrits, l’Institut Ahmed Baba.

Aujourd’hui, en 2013, le chantier est porté à la connaissance  du grand public : 100 000 manuscrits à Tombouctou et dans les environs, 300 000 dans l’ensemble du Mali, et probablement plus encore, conservés précieusement dans les grandes familles, et dont le contenu reste encore largement ignoré.

A travers ce bel ouvrage, on découvre le fabuleux travail des historiens et des chercheurs maliens, en collaboration avec des programmes comme le VECMAS (valorisation et étude critique des manuscrits subsahariens) conduit par le professeur Georges Bohas, professeur d’arabe à l’ENS de LYON.

"Comprendre ce que nous disent aujourd'hui Tombouctou et ses manuscrits est essentiel car l'histoire intellectuelle de l'Ouest africain est à écrire." Ainsi Souleymane Bachir Diagne, philosophe, professeur à l'Université de Columbia, souligne-t-il dans la postface, l'importance de ce livre.

 

Nous vous invitons vivement à le découvrir !

 


 

 

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