Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 février 2013 5 08 /02 /février /2013 11:54

 

Cette synthèse a été suggérée par deux articles récents, Mali, un pays, malade du wahhabisme, lu dans La Vie du 24-30 Janvier, et Au Mali, la guerre des islamismes, par Gilles Holder, lu dans Le Monde  du Mardi 29 Janvier, ainsi que par la dernière tribune de Michel Rocard L’intervention au Mali peut renforcer les courants pacifiques de l’islam, lue dans Le Monde du 6 février. L’éclairage apporté par les travaux de Gilles Holder, anthropologue et chercheur au CNRS, spécialiste du Mali et des questions religieuses, fait nécessité. La feuille de Michel Rocard mérite aussi d’être lue avec attention. Plusieurs précisions ont été possibles grâce au petit ouvrage de Michel Cuypers et Geneviève Gobillot : Idées reçues, Le Coran, aux Editions Le Cavalier bleu.

 

A Bamako, deux éminents représentants de l’islam du Mali viennent de déclarer leur approbation à l’intervention militaire française, sans laquelle le pays était condamné. Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil Islamique du Mali (le HCIM) et Chérif Ousmane Haïdara, prédicateur célèbre, ont exprimé devant la société civile leur aspiration largement partagée de retour à la paix et leurs remerciements à l’initiative française. « Il était important d’entendre des déclarations d’autorités religieuses musulmanes sur ce sujet. »

 

Au-delà de cet apparent unisson, tout oppose pourtant ces deux hommes. Chérif Ousmane Haïdara et Mahmoud Dicko incarnent au Mali, pays musulman à plus de 90%, deux courants parfaitement antinomiques. Qu’en sera-t-il à l’heure de reconstruire le pays ?

 

Chérif Ousmane Haïdara est malékite, comme 80% des musulmans maliens. L’islam malékite propose une doctrine à visée universelle, apte à s’adapter aux cultures locales, ouvert et tolérant, imprégné de la sagesse soufie. Les malékites appartiennent à des confréries rattachées à des figures de sages ou de saints qu’ils révèrent.

Cherif Ousmane Haïdara, guide spirituel de la mosquée de Banconi à Bamako est  le chef charismatique d’une organisation Ansar Dine, légalisée depuis plus de vingt ans. Ansar Dine signifie "défenseur de l'Islam". Cette association fondée en 1992 n'a strictement rien à voir avec le groupe islamiste touareg du même nom, apparu début 2012. Des journalistes ont malheureusement déjà confondu les deux organisations. (voir notre article blog  du 31 Mai 2012  Décalage, recadrage, des nouvelles du Sahara et du Sahel ) Chérif Ousmane Haïdara est un prédicateur renommé, défendant un islam de la paix, tolérant et modéré. Dans sa dernière déclaration on peut lire «  AQMI, Ansar Eddine, Mujao : c’est pareil. Ce sont des bandits et des trafiquants de drogue qui utilisent la religion comme couverture….et plus loin  Il va falloir mener une guerre idéologique et dénoncer ceux qui se disent musulmans et qui sèment la mort. » (cité par Michel Rocard). Sa position est très claire depuis le début de la crise malienne : il a dénoncé fermement la destruction des mausolées, il a toujours affirmé qu’il refusait la charia politique au Mali. Il défend un islam noir, afro-centré et autonome vis-à-vis de l’Etat.

 

Mahmoud Dicko, au contraire, est un adepte du wahhabisme, courant qui représente environ 20% de la population musulmane malienne. Fondé au XVIIIe siècle par Abd al Wahhab’, le maître à penser de l’Arabie saoudite d’alors , ce mouvement prêche la restauration sunnite et dénonce tout à la fois la pensée moderniste, les superstitions et le culte des saints considéré comme de l’idolâtrie : il prône le retour d’une stricte application de la charia. Sa branche la plus extrême est constituée par les salafistes (« retour à la première prédication »).

Le wahhabisme a pénétré le Mali après la deuxième guerre mondiale, à partir de 1945, à l’époque du Soudan français colonial. En s’attaquant aux traditions de l’Islam noir, il a prêché une ré-arabisation de l’islam, un retour aux « origines ». En même temps,  il y avait dans ce nouveau courant réformateur quelque chose d’anticolonialiste qui pouvait  être fédérateur pour les Maliens. Muselé à l’Indépendance par le premier président, Modibo Keïta, qui imposa la laïcité, les wahhabites sont  revenus en odeur de sainteté après avoir soutenu le coup d’état de Moussa Traoré, deuxième président du Mali,  et dictateur, renversé à son tour par ATT en 1991 (voir article blog 22-26 Mars  22-26 mars, où en est-on au Mali ? ). Celui-ci les écarte à nouveau en refusant la création de partis religieux.  Mais les choses évoluent peu à peu. Depuis 2008, Mahmoud Dicko préside le Haut Conseil Islamique du Mali. C’est lui qui a obtenu le retrait du nouveau code de la famille instauré par ATT et favorable aux femmes, qui stipulait leur égalité avec les hommes. Après le coup d’Etat de mars dernier, un « ministère des affaires religieuses et du culte » a été confié à  un proche de Mahmoud Dicko. Le wahhabisme à Bamako est marqué par l’activisme social et politique et il est sur-représenté dans les instances religieuses maliennes.

Mahmoud Dicko ne s’est pas offusqué de la destruction des mausolées de Tombouctou. Partisan d’une République islamique pour le Mali, il n’a eu de cesse de vouloir négocier la charia avec les djihadistes. Ce n’est que  dernièrement, lorsque la rébellion est passée à l’offensive en janvier, qu’il a rallié le sentiment populaire de soulagement et soutenu sans réserve l’intervention française. Sa dernière déclaration selon laquelle « la France ne mène pas une guerre contre l’Islam » est à comprendre aussi comme une réponse à des propos venus du Qatar et d’Egypte, lesquels accusaient l’intervention française de s’attaquer militairement à l’Islam.

La déclaration de Mahmoud Dicko en faveur de l’initiative française va au-delà d’une simple gratitude : elle est aussi la marque d’un positionnement  « saoudien » dans des rapports de forces politico-économico-religieux en Afrique : le Qatar appuie l’Egypte et les Frères musulmans, l’Arabie Saoudite, rivale et puissante, soutient les mouvements salafistes. Deux puissances financières qui s’opposent et qui voudront leur part de l’éventuel « gâteau ».

 

Quel Mali demain ?

La Constitution malienne, jusqu’à aujourd’hui, garantit la laïcité. La devise du pays «  Un Peuple, un But, une Foi » institue la religion dans l’espace public.

Sur quels fondements les Maliens vont-ils choisir de reconstruire leur société?

 

N’hésitez pas à partager cet article, à vous abonner au blog (cartouche à droite), à soutenir par vos commentaires notre réflexion et nos actions en faveur du Mali.

Partager cet article
Repost0

commentaires